J’ai découvert le roman Écotopia d’Ernest Callenbach, un livre très créatif. Je vous en partage un passage qui paradoxalement n’est pas imaginatif, mais plutôt un rappel ironique du merveilleux monde des lobbyistes…
A savoir ! Lors de la rédaction de cet article, les versions pdf et epub de ce roman étaient gratuites ! Pour vous ouvrir l’esprit à moindre prix, c’est par ici : Écotopia aux éditions Rue de l’Échiquier
Le roman
Écrit dans les années 1970, Ecotopia est une utopie écologiste. Cela fait du bien de lire un livre qui ne nous parle pas de société survivaliste et individualiste.
L’idée de départ : la Californie, l’Oregon et l’État de Washington ont fait sécession des États-Unis pour créer un pays écologiste. Vingt ans plus tard, l’envoyé spécial William Weston est le premier journaliste étasunien à fouler le sol d’Ecotopia.
Le roman, sous forme épistolaire, mélange des textes issus du journal intime du journaliste et de ses articles de presse. Sur le fond, le contenu interroge notre façon de penser. C’est un livre très imaginatif (des passages m’ont vraiment intriguée, comme les maisons en plastiques ou les jeux de guerre rituels).
Je vous partage ici un passage du tout début du roman. William n’est à Écotopia que depuis un ou deux jours, et se documente sur la société dans laquelle il est accueilli.
Le passage
Je rentre à l’hôtel et me plonge dans ces brochures. L’une d’elles […], que je trouve particulièrement déprimante à cause de son ton moralisateur, étudie les habitudes alimentaires les plus fréquentes avant l’Indépendance et analyse les risques inhérents pour la santé publique. Son approche dénuée d’humour semble sous-entendre que les sodas ont participé à une sorte de complot ourdi contre l’humanité. Apparemment, au cours des trois décennies, les fabricants américains de sodas étaient responsables de quelque dix millions de caries dentaires ! Cette tendance implacable à accuser les producteurs est, je commence à le voir, très répandue en Écotopia – quitte à négliger tout à fait, dans le cas présent, la responsabilité des consommateurs de sodas.
Ernest Callenbach, Écotopia, traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, 2018, Rue de l’échiquier fiction.
Le partage
J’aime beaucoup le style de ce passage. Il est à double niveau de jugements, ce qui introduit une connivence entre la lectrice ou le lecteur et l’auteur.
On voit d’abord le jugement du narrateur, le journaliste William Weston. Il critique le comportement des Écotopiens vis-à-vis des fabricants de sodas. Il pointe même les vrais responsables : les consommateurs de sodas.
Puis on perçoit le jugement de l’auteur. Nous sommes au début du roman, il est normal que le narrateur ait des a priori négatifs sur ce pays sécessionniste. Mais franchement, le lecteur ou la lectrice qui lit une utopie écologiste, se doute bien que le sous-texte est que le narrateur se trompe. Il y a donc connivence entre le lecteur et l’écrivain.
Enfin, j’aime ce passage car en peu de mots il rappelle deux stratégies avérées des lobbys pour défendre leur mode de développement :
- La stratégie du doute, pour faire croire que tel produit n’est pas dangereux pour la santé (le modèle est celui du tabac, bien expliqué dans le film Thank you for smoking) ou que les études scientifiques ne sont pas suffisamment sûres pour formuler un jugement (alors là, LE modèle c’est le lobbying climatosceptique 😡).
- La stratégie de la responsabilisation du consommateur, pour faire croire que c’est entièrement de notre faute si le monde est pollué ou si nous sommes en mauvaise santé (un exemple parmi d’autres est celui sur les produits ultratransformés).